Greffe de moelle osseuse, une thérapie de consolidation pour les cancers du sang
Lorsque la fabrication des cellules sanguines est altérée par un cancer, il est parfois indispensable de pratiquer une greffe de moelle osseuse. Le plus souvent, la greffe se fait à partir d’un donneur volontaire inconnu. Elle accroît sensiblement les chances de guérison.
Chaque année, près de deux mille personnes, enfants et adultes, atteintes de maladies graves du sang, parfois mortelles, ont besoin d’être soignées grâce à une greffe de moelle osseuse. « Cet organe gélatineux contenu dans les os joue un rôle capital, rappelle en préambule le professeur Ibrahim Yakoub-Agha, président de la Société française de greffe de moelle et de thérapie cellulaire (SFGM-TC). Il est la véritable usine qui fabrique le sang : globules rouges, qui transportent l’oxygène ; globules blancs, qui luttent contre les infections ; et plaquettes sanguines, qui permettent aux plaies de cicatriser. » La moelle osseuse peut être affectée par différentes maladies : fabrication de cellules insuffisante ou à l’inverse trop abondante ; production de cellules malades… Ce sont surtout les cancers du sang qui nécessitent de recourir à la greffe de moelle. Le cancer du sang le plus connu demeure la leucémie. Mieux vaut parler plutôt de leucémies au pluriel, car il en existe différents types, présentant des caractéristiques et des pronostics variés. Les leucémies dans leur forme aiguë touchent environ cinq mille personnes chaque année, essentiellement des enfants et des personnes âgées. Elles se caractérisent par un nombre anormalement élevé de globules blancs dans le sang. On assiste à une prolifération de cellules qui se divisent sans arrêt avant d’arriver à maturité. Le malade est affaibli et son système immunitaire ne fonctionne plus : il n’est donc pas protégé contre les infections.
Les autres maladies concernées
Pour les leucémies aiguës, la greffe s’impose assez souvent. Il en est de même pour les myélodysplasies, qui sont des dysfonctionnements précancéreux de la moelle. Quant aux lymphomes, ou cancers des ganglions lymphatiques, ils nécessitent parfois le recours à la greffe, mais uniquement en cas de rechute, jamais en première intention. Enfin, les myélomes, ou tumeurs de la moelle osseuse, peuvent parfois être concernés par la greffe ; mais le plus souvent, la chimiothérapie seule permet d’en venir à bout.
La greffe : quand ?
La greffe s’inscrit dans un parcours thérapeutique. Elle est souvent proposée comme traitement de consolidation afin d’éviter une rechute, après un ou plusieurs épisodes de chimiothérapie et des séjours en chambre stérile pour prévenir tout risque infectieux. Le principe ? « La moelle osseuse du donneur prend la place des cellules malades et colonise la moelle du patient avec des cellules saines », explique le professeur Ibrahim Yakoub-Agha. Le greffon se présente sous la forme d’un liquide rouge qui contient la moelle osseuse du donneur, ponctionnée dans les os du bassin ou prélevée dans son sang par cytaphérèse*. « Une greffe provenant d’une autre personne – ou allogreffe – accroît grandement les chances de guérison, ajoute le professeur Ibrahim Yakoub-Agha. On dénombre 60 % de rémissions à long terme pour certaines leucémies aiguës soignées par une greffe, contre seulement 15 % en l’absence de greffe. » Mais attention, il faut prendre en compte le risque de réaction du greffon contre le receveur. Aussi est-il indispensable que les systèmes HLA (Human Leucocyt Antigens) du donneur et du receveur soient les plus proches possibles. HLA désigne le système majeur de reconnaissance des cellules étrangères par le système immunitaire. Le donneur le plus indiqué est un membre de la fratrie, dans la mesure où son profil biologique est très proche de celui du patient. Mais dans 75 % des cas, il n’y a pas de fratrie ; ou bien, les frères et sœurs ne remplissent pas les critères pour donner leur moelle. Il faut alors rechercher un donneur compatible dans le registre France Greffe de Moelle (RFGM) ou, à défaut, dans les registres des pays étrangers. Aujourd’hui, en deux ou trois mois, les équipes parviennent à trouver un donneur compatible. Les alternatives à l’allogreffe classique Il est parfois indiqué de recourir au sang de cordon ombilical, prélevé dans des maternités autorisées ; c’est là une forme spécifique d’allogreffe. En effet, les cellules du sang placentaire ont la particularité de se multiplier rapidement et d’entraîner un moindre risque de réaction du greffon contre le receveur, du fait de leur caractère immature. Mais, en contrepartie, elles mettent plus de temps à coloniser l’organisme du receveur… La greffe avec du sang de cordon est donc une solution alternative quand aucun donneur n’est trouvé dans la famille ni dans les registres. Autre possibilité : l’autogreffe, ou greffe autologue. Dans ce cas, la moelle est prélevée chez le malade lui-même alors que sa maladie est en rémission. Elle est congelée puis réinjectée le moment venu. Cette thérapeutique est recommandée dans le traitement du lymphome et du myélome, mais pas pour les leucémies, la moelle osseuse du malade se révélant alors trop altérée pour être utilisée.
Qui peut donner ?
Les candidats au don de moelle osseuse doivent respecter trois conditions :
• être en parfaite santé, certaines pathologies représentant des contre-indications au don de moelle osseuse : affections cardiaques ou respiratoires, hypertension artérielle, diabète, certaines maladies de la thyroïde ;
• avoir plus de 18 ans et moins de 51 ans lors de l’inscription, même si l’on peut ensuite donner jusqu’à l’âge de 60 ans ;
• accepter de répondre à un questionnaire de santé et faire une prise de sang qui permet de déterminer la carte d’identité biologique du donneur (typage HLA).
Les grandes étapes de la greffe
1_ Examens
Au cours du mois qui précède la greffe, le malade doit faire un bilan complet de faisabilité pour examiner ses principaux organes : coeur, foie, reins, poumons… Objectif : vérifier qu’il pourra tolérer la greffe et d’éventuelles complications. Pour cela, il n’a pas à être hospitalisé en continu.
2_ Conditionnement à la greffe
Le malade entre à l’hôpital. Pendant trois à quinze jours, il subit une chimiothérapie de conditionnement, parfois complétée par des séances de radiothérapie. Il s’agit d’affaiblir sa moelle osseuse pour faciliter l’installation de celle du donneur. Trois critères définissent le type de conditionnement : la typologie de la maladie, l’âge et l’état de santé du malade. Vingt-quatre heures avant la greffe, tous les traitements sont arrêtés.
3_ Prélèvement chez le donneur
Le donneur de moelle osseuse qui a été identifié comme étant compatible est prélevé dans un hôpital proche de son domicile. Cette étape s’effectue soit par ponctions* dans les os du bassin, sous anesthésie générale, soit par cytaphérèse*. Dans ce cas, son sang est prélevé, puis trié par une machine qui sélectionne les cellules souches hématopoïétiques* qui vont constituer le greffon.
4_ Greffe
Le jour même, ou le surlendemain si le donneur est à l’étranger, le greffon arrive à l’hôpital où le receveur est pris en charge. La greffe consiste en une simple perfusion qui dure entre quinze minutes et plusieurs heures. Les cellules transfusées vont trouver tout naturellement leur habitation dans les os du patient. La moelle osseuse du donneur sain remplace la moelle osseuse du malade, en grande partie détruite par la chimiothérapie de conditionnement.
5_ Aplasie et reconstitution de la moelle
Dans un premier temps, le malade subit les effets secondaires immédiats du conditionnement (fatigue, infections, etc.). De plus, il est en aplasie, période de forte baisse de ses barrières immunitaires. Il est affaibli et mis à l’isolement en chambre stérile. Peu à peu, le greffon colonise son organisme et la moelle osseuse se reconstitue. Au bout de quatre semaines environ, le receveur sort d’aplasie et peut quitter l’hôpital.
6_ Sortie de l’hôpital et suivi
Une fois sorti, le receveur doit prendre un traitement immunosuppresseur, c’est-à-dire des médicaments qui empêchent le rejet du greffon par son organisme. En effet, dans 50 % des cas apparaît la maladie du greffon contre l’hôte, qui se traduit par des éruptions cutanées ou des troubles digestifs. La forme aiguë peut durer jusqu’à trois mois, nécessitant parfois des hospitalisations ponctuelles. Pendant cette période, il faut prévenir toute infection : bien cuire la viande, éviter les lieux d’affluence en période d’épidémie…
7_ Reprise des activités
Peu à peu, le traitement immunosuppresseur est arrêté et le receveur peut à nouveau manger de tout. Il récupère au cours d’une période allant de trois mois à deux ans. La reprise de l’activité professionnelle signe le succès de la greffe. Elle intervient en moyenne au bout d’un an. Pour les personnes travaillant dans des milieux à risque d’infection (crèches, écoles, etc.), la reprise intervient plus tard.